Pettri Lehikoinen (Champion du monde 2004-2011)
Pettri LEHIKOINEN (Finlande)
Champion du Monde par correspondance de 2004 à 2011.
IL ÉTAIT UNE FOIS…
Pertti Ilari Lehikoinen est né le 19 mars 1952 à Helsinki où il a toujours vécu. Ses origines modestes n’ont pas entravé sa carrière échiquéenne. Il apprit à jouer aux échecs à l’âge de 7 ans alors qu’il rendait visite à un ami à la campagne.
À l’époque, la chanson de Piaf, Milord, était un grand succès et passait plusieurs fois par jour sur les ondes et Pertti l’a encore en tête lorsqu’il se souvient, plus de cinquante après, de ce week-end qui a changé toute sa vie.
Par la suite, il joua avec ses camarades d’école puis rejoignit très vite un club. À 14 ans, il termina son premier championnat de Finlande junior (à ce moment, il n’y avait qu’une seule catégorie pour les moins de 20 ans) avec 0/7. Le journal
local écrivit même qu’il finit à la neuvième place alors qu’il n’y avait que huit participants !
L’année suivante il fut 23e sur 24, mais il finit par l’emporter, trois ans plus tard, en 1970. Et il obtint dans la foulée le titre de candidat maître.
Le titre de maître proprement dit ne vint qu’en 1978, car Pertti se mit dans l’intervalle au jeu par correspondance.
LES PREMIERS PAS
En 1971, un camarade de club insista pour que Pertti essaye le jeu par correspondance et s’inscrive dans un tournoi, juste pour voir. C’était un tournoi national et Pertti trouva que c’était assez stressant car la poste finlandaise délivrait le courrier du jour dès le lendemain. Il réalisa tout de même 4/6, juste assez pour obtenir le titre de maître national.
Sa première compétition internationale fut un tournoi préliminaire du cycle du championnat du monde en 1972. Le rythme plus lent convenait parfaitement au style de jeu de Pertti. Il ne parvint pas à se qualifier et termina 3e à un demi-point des vainqueurs, mais l’essentiel fut qu’il en conclut : « C’est passionnant, c’est la forme du jeu d’échecs qui me convient le mieux ! »
LE NIVEAU INTERNATIONAL
Vainqueur du championnat de Finlande en 1976, Pertti fut invité à participer au mémorial Eino Heilimo, un tournoi de grands maîtres. Il y obtint le titre de maître international ICCF avec 7/14. Sa technique était déjà très au point et il put faire
« quelques bonnes nulles contre les grands maîtres ». Ça lui donna confiance pour la suite.
LE SECOND PLUS JEUNE GRAND MAÎTRE INTERNATIONAL !
Quelque temps après, il fut invité à un fort tournoi de grands maîtres organisé par la fédération macédonienne et là, son rêve devint réalité. Il obtint norme et titre de grand maître ICCF avec 8,5/13. À ce moment il n’y avait que 90 grands
maîtres dans le monde et le nombre de joueurs était significativement plus important qu’aujourd’hui.
« J’ai battu le GM Fritz Baumbach qui devint champion du monde peu de temps après ! J’ai pris conscience dans ce tournoi que je pouvais rivaliser avec les grands maîtres et aussi que je devais améliorer certains points de mon jeu. Il
s’avéra que mon point fort était mon aptitude à défendre opiniâtrement les positions les plus délicates.»
LA CHUTE, PUIS LE RENOUVEAU
« Le mémorial Josef Bannet fut le pire tournoi que j’aie jamais joué, le seul aussi où j’ai perdu des points Elo – seulement 5 points, mais quand même… J’y ai appris que ce n’était pas le tout d’être devenu grand maître, et qu’il fallait aussi
jouer comme un grand maître ! La naissance de ma fille à cette époque peut constituer une infime explication de cette mauvaise performance.
« Je participai ensuite au mémorial Alekhine, le second plus fort tournoi par correspondance organisé jusqu’alors. C’est le grand maître letton Aivars Gipslis qui l’emporta. Je fut 5e à un point, manquant une seconde norme de grand maître
d’un demi-point. Certes j’avais déjà le titre, mais à cette époque quand vous réalisiez deux normes, vous obteniez à vie une qualification pour les ¾ de finale du championnat du monde. Je me suis consolé avec un gain contre Sanakoev (2e) et une
nulle contre Zagorovsky (10e), ce qui faisait que mon score contre les champions du monde était désormais de 2,5 – 0,5.
« Par une très étrange coïncidence, il se trouve que j’ai joué en même temps le Jubilé des 70 ans de la fédération canadienne. J’ai accepté involontairement de participer à ce tournoi, considérant qu’il leur serait très difficile de trouver
un grand maître remplaçant à temps. » Pertti s’en sortit très bien, réalisant 8,5/14. Ce fut une très bonne expérience qui lui servit ultérieurement.
UNE PERFORMANCE PARFAITE !
« En 1995, le mémorial Milan Vidmar fut mon meilleur tournoi. Je peux l’affirmer même aujourd’hui après ma victoire dans le championnat du monde. J’ai gagné une partie rapidement au sortir de l’ouverture et les autres parties se sont
jouées comme dans un rêve ! J’ai remporté le premier prix avec 11,5/14, devançant d’un demi point le n° 6 mondial et réalisant deux points et demi de plus que la norme de grand maître ! Une des raisons de cette réussite fut peut-être que je
venais de jouer simultanément les deux tournois précités, un peu comme si lors d’une course à pied j’avais troqué des bottes en caoutchouc pour des baskets ! »
LA ROUTE DU CHAMPIONNAT DU MONDE
« J’ai commencé à penser au championnat du monde dans les années 1970. Mon objectif d’alors était de réaliser les deux normes de grands maîtres pour accéder directement aux ¾ de finale. Le jeu par voie postale convenant particulièrement
à mon style, j’ai songé à m’installer sur une petite île le long de la côte croate pour disputer la phase critique de la finale de façon à me garantir des jours supplémentaires de réflexion en raison de la lenteur des circuits postaux dans ce pays. Ce très beau plan capota malheureusement à cause des événements désolants qui survinrent dans les Balkans au début des années 1990. Un autre élément négatif fut, quelques années plus tard, l’impact croissant des ordinateurs dans le jeu par correspondance. »
Pertti disputa un ¾ de finale dès la fin du mémorial Vidmar. C’était un tournoi difficile. Il dut faire face à de gros problèmes immédiatement après la phase d’ouverture, certaines parties étant même probablement déjà perdantes.
Mais il réussit à s’accrocher et à s’en sortir sans la moindre défaite. « Il fallait absolument que je gagne mes deux
dernières parties. »
Par chance, l’avantage qu’il avait dans ces deux parties s’avéra suffisant se qui permit à Pertti d’obtenir la quatrième place, ex æquo avec le Tchèque Milan Mráz, et la qualification pour jouer une finale. Des vingt-quatre place allouées à ce cycle, Pertti obtint la vingt-troisième et c’est le Suédois Stefan Winge qui obtint la dernière ayant terminé lui aussi quatrième ex æquo de son ¾ de finale. Ainsi, ce sont les deux joueurs qui ont eu le plus de mal à se qualifier qui ont brillé lors de cette vingtième finale !
LA PRÉPARATION POUR LA FINALE
« La finale devait débuter en mai 2004, mais elle fut reportée à octobre. J’ai commencé ma préparation courant décembre 2002, même si je n’étais pas encore assuré d’y participer étant donné que les ¾ de finale n’étaient pas encore terminés.
« Au cours des premiers mois, cette préparation fut surtout mentale. Je traitais un sujet par jour, au cours d’une marche à pied d’environ quatre à cinq heures. L’objectif était d’améliorer mes points faibles, par exemple mieux gérer les temps
de réflexion au sortir de la phase d’ouverture où de la tranche des cinq à huit coups suivants, à toujours été délicat à négocier pour moi. »
La dernière phase de la préparation fut perturbée par des travaux de plomberie dans la maison de Pertti. Ces travaux importants durèrent de fin 2003 à juillet 2004. Fort heureusement le lancement de la 20e finale fut aussi reporté du
printemps à l’automne 2004.
« En théorie, il y avait à cette époque environ une centaine de joueurs qualifiés pour jouer une finale. Il était donc impossible de se préparer individuellement contre tel ou tel joueur. J’ai donc décidé d’affiner plutôt mon répertoire d’ouvertures. Un peu comme Botvinnik : Slave et Najdorf. Cette phase de ma préparation se termina le 12 octobre 2004. J’ai commencé ensuite à me renseigner pour savoir si la liste des participants avait été communiquée : elle venait juste
d’être publiée ! Ma préparation contre mes adversaires me prit deux semaines et se termina le jour même du lancement officiel du tournoi. »
LE DÉPART, LES DIFFICULTÉS PUIS, LE BORD DU GOUFFRE
« Mon intuition me dit que la plupart des joueurs prendraient leurs congés en décembre et j’ai donc décidé de prendre les miens en novembre. Je ne me suis pas trompé, Zilberberg fut le seul à ne pas les prendre en décembre. « La phase d’ouverture s’est très bien passée, j’avais même déjà un petit avantage dans quelques parties avec les noirs. « En juin 2005, j’aurais déjà dû apercevoir les gros nuages noirs converger au-dessus de ma tête. J’ai consacré trop de temps à mes excellentes ouvertures. Il s’ensuivit un cauchemar de six mois, le pire que j’aie jamais connu. Incessamment, les coups pleuvaient de toutes parts et s’entassaient, en attente de réponses que j’avais de plus en plus de mal à fournir. Je ne parvenais pas à analyser aussi profondément que je le souhaitais. Dans quatre parties, j’ai offert la nullité avec les noirs… les quatre offres furent rejetées ! Je venais de montrer ma vulnérabilité et naturellement tout le monde voulait en tirer
avantage. Avec les blancs, j’ai proposé nulle à Alik Zilberberg. Il accepta après son retour de congés. Il me restait treize parties en cours et je devais me résigner à jouer des coups insufisamment analysés.
« En septembre 2005, ma santé commença à se dégrader et bientôt de nouveaux problèmes arrivèrent. Mon travail terminé, j’analysais les parties pendant une bonne partie de la nuit, le plus longtemps possible. Je manquais terriblement de
sommeil. Une nuit, je me suis évanoui dans la cuisine pendant que je me préparais du café. Je me suis rendu compte qu’il fallait absolument que je me repose un peu et j’ai décidé que dorénavant arrivé à 3 h du matin, je devais aller me
coucher… De temps en temps j’ai bien sûr dépassé cette limite, mais pas trop souvent. « Vers Noël 2005, j’ai reçu en quelques jours une avalanche de coups de la plupart de mes adversaires. Dans plusieurs parties il me restait si peu
de temps qu’il fallait absolument que je réponde avant Noël. Je fis comme je pus. Pour les derniers envois, ce fut quasiment une loterie… »
LE BOUT DU TUNNEL
« J’ai entamé 2006 avec des congés. J’étais tellementexténué que je passai les premiers jours à dormir. Puis je me suis forcé à regarder mes parties et à reprendre méthodiquement mes analyses si tant est qu’il restât encore quelque chose
à analyser, car les positions s’étaient plutôt dégradées au cours des six derniers mois. Cependant j’avais tout de même une partie gagnante et, fort heureusement, je pus trouver assez d’énergie pour reprendre la lutte. Je pus répondre à
toutes les parties en attente, seule la partie contre Winge posait problème. J’y consacrai le reste de mes vacances et décidai de sacrifier une qualité en échange d’un pion passé éloigné. Je pris cette décision le dernier jour, juste avant que
les nouveaux coups reprennent le chemin de ma boîte aux lettres.
« J’acceptai la nulle dans deux parties et petit à petit repris le dessus. Au cours de l’été 2006 mes adversaires commirent quelques imprécisions et, vers la fin de l’année, je fus persuadé que je ne perdrai pas une seule partie dans ce tournoi. »
LE SPRINT FINAL
« Une série de nulles s’ensuivit. Peu après, j’enregistrai un gain contre Herbrechtsmeier et me rendis compte que j’avais encore trois positions assez avantageuses. Je pensais raisonnablement en gagner au moins une et avec + 2, à défaut de
médaille ceci me garantissait un résultat honorable. Courant 2007, mon avantage dans ces trois parties ne cessa de croître et au printemps 2008, après trois ans et demi de jeu, je réussis à conclure victorieusement ces trois parties pour atteindre
le score de + 4. J’étais en tête ! mais la fameuse partie Winge – Toro était encore en cours. »
ANALYSE POST MORTEM
« Winge était probalement gagnant contre Toro avant de jouer son 93e coup, bien que je n’aie jamais trouvé de gain clair pour les blancs. La position est tellement riche que certaines idées nous ont peut-être échappé. En outre, Winge
avait de son côté une certaine motivation pour rechercher le meilleur plan alors que pour Toro cette partie n’avait plus grande signification sur le plan sportif et en ce sens, son travail défensif dans une position extrêmement délicate est
tout à fait remarquable. Peut-être la vérité sur cette finale nous sera-t-elle révélée lorsque nous disposerons de tables de Nalimov à neuf pièces… si on y arrive un jour. »
Cette finale représente trois ans et demi d’efforts pour Pertti. Il a consigné toutes ses impressions, au fil des semaines, dans un journal, ce qui nous a permis de réaliser cet article. Au début du tournoi, il consacrait environ onze heures d’analyses quotidiennes aux parties. Puis ce travail s’est étendu pour atteindre jusqu’à dix-sept heures.
Lehikoinen, Pertti FIN
Hafner, Manfred GER
Gambit de la Dame [D37]
corr W-20ch finale, ICCF 2004
Cette bagarre positionnelle contre l’Allemand Manfred Hafner constitue ma meilleure prestation dans ce championnat du monde. J’y ai réussi à convertir un minuscule avantage d’ouverture en point entier.
1.d4 d5 2.c4 e6 3.Cc3 Fe7! Le grand Tigran Petrosian est à l’origine de cet ordre de coups, vers la fin des années 50/début 60, qu’il utilisa notamment dans trois parties de son match contre Botvinnik en 1963. De nombreux grands maîtres de tout premier plan s’en inspirèrent, citons, entre autres : Viktor Kortschnoj, Anatoly Lutikov, Boris Spassky, Lajos Portisch…
Le plan des noirs est d’éviter les inconvénients de la variante d’échange après 3…Cf6 4.cxd5 exd5 5.Fg5 et les noirs auront des problèmes pour mettre leur fou dame en jeu. Par exemple, la variante 5…c6 6.e3 Ff5 7.Cf3! leur est défavorable.
D’où l’idée 3…Fe7! qui permet, après 4.Cf3 Cf6 5.cxd5 exd5 6.Fg5 c6 7.e3 (ou 7.Dc2 g6 suivi de Ff5) 7…Ff5 de résoudre le problème du développement du « mauvais fou » c8 ce qui pendant plusieurs mois ! Pertti a calculé qu’il avait passé entre 14 700 et 14 800 heures pour jouer 14 parties ! Un travail titanesque !
« En gros, j’ai passé la moitié de ce temps à analyser avec des ordinateurs et l’autre moitié d’une façon plus traditionnelle, devant un échiquier, en prenant des notes ou alors à l’aveugle. La synthèse de ce travail analytique produisant
les coups que j’inscrivais sur mes cartes postales. « Ce championnat du monde m’a épuisé et enlevé toute envie d’en jouer un autre. Le raccourcissement des temps de réflexion ne fait que conforter ma décision. Mais bien que je sois désormais
retiré du jeu par correspondance, j’en suis toujours passionné et je suis très attentivement l’actualité des tournois. En tout cas je peux affirmer qu’il a tenu une part essentielle dans ma vie entre 1975 et 2009. »
PANU LAINE, d’après une interview
et de très précieuses notes
de Pertti Lehikoinen
LEHIKOINEN Pettri – HAFNER Manfred 2004