Portraits

Viacheslav Ragozine (Champion du monde 1956-1959)

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Sa plus grande prouesse dans cette compétition fut de terminer second au S.B. dans le 10e championnat d’ U.R.S.S. en 1937 avec 12 points sur 19 (+7-2=10), ex-aequo avec Konstantinopolsky, et derrière Gregory Levenfish (ou Loewenfish ou Löwenfish), 1er avec 12½ points. Il avait même réussi à battre ce futur champion avec les noirs dans une Sicilienne.
Gregori Levenfish  alors âgé de 48 ans, très fort Grand Maître, représentait la “vieille garde russe” très expérimentée qui permit à la formidable jeune génération montante des Kérès, Botvinnik, Smyslov, etc. … de s’aguerrir puis de dominer à partir des années 40 le monde des échecs pendant de longues décennies. Botvinnik lui–même en 1937 ne put battre en match Levenfish, alors champion d’U.R.S.S. en titre, après 13 parties très disputées (+5-5=3 !)
 
Ce tournoi joué à Tbilissi du 12 avril au 14 mai 1937 comportait 20 joueurs ! (nous aimerions voir dans quel état psychique et physique se trouveraient à la fin d’une telle compétition nos G.M. actuels, les “speedy Gonzales” du jeu moderne, surtout quand on constate le nombre de coups et l’acharnement dans certaines parties de ces ch. d’U.R.S.S.) De grands noms de l’époque y figurent :
citons Makagonov, Rauzer, Bondarevsky, Kan, V. Panov et même G. Kasparian un des meilleurs compositeurs d’études …
 
Voici une partie intéressante jouée lors de ce championnat contre une autre grande figure, André Lilienthal :
 
Ragozine Viacheslav – Lilienthal Andor   A28 URS-Ch 10 – Tbilissi 1937 (1-0)

 
La grande désillusion :
 
Il était normal dans l’évolution d’un joueur soviétique de premier plan d’affronter en matches relativement longs d’autres Grands Maîtres, sans titre en jeu. Ce plan de carrière était bien sûr voulu par la toute puissante fédération des échecs soviétiques (SCF)
 
Aussi logiquement V. Ragozin affronta l’une des stars des échecs de l’époque : Mikhail Botvinnik.
Celui ci était le favori du match : déjà 3 fois champion d’URSS à la pendule (1931, 1933, 1939), mais surtout 3e du super tournoi A.V.R.O. Amsterdam 1938 qui réunissait l’élite mondiale de l’époque.
Botvinnik était déjà considéré comme le seul soviétique avec le flamboyant Paul Kérès capable de battre le champion du monde Alexandre Alekhine. Néanmoins V. Ragozin également très aguerri n’était pas à sous-estimer, et faisait figure de sérieux adversaire. Enfin les 2 joueurs étaient jeunes et de la même génération : Ragozin né en 1908 et Botvinnik en 1911.
 
En 1940 un match en 12 parties eut donc lieu à Leningrad. Ce fut ce que l’on peut appeler une catastrophe pour V. Ragozin, surclassé : 3½ points contre 8½ à son adversaire. 7 nulles, 5 défaites dont 3 d’affilée dans la deuxième partie du match ! Le genre de désastre qui peut laisser des traces durables dans la vie d’un compétiteur. Manque de forme ? adversaire lui en superbe condition ?
mauvaise préparation ? Puis mauvais choix lorsque l’on est dominé ? Peut être un peu tout ça, mais aussi il est fort probable que Botvinnik était déjà hors de portée d’un bon G.M.I. : plus complet, plus profond, plus tenace.  
 
Botvinnik, Mikhail M – Ragozin, Viacheslav [D94] Match Leningrad (3), 1940 (1-0)
 
 
Il est intéressant de comparer cette partie avec le match en 1937 qui vit la confrontation acharnée entre M. Botvinnik et G. Levenfish en 13 parties. Dans ce “combat des 2 chefs” (Levenfish fut lui aussi multi–champion d’URSS : en 1934 et 1937), ces 2 joueurs utilisèrent quatre fois ce début D94 aussi bien avec les blancs qu’avec les noirs. Levenfish remporta le duel théorique à ce niveau par 2 victoires, 1 défaite, 1 nulle. Quand on connaît l’acharnement de Botvinnik dans ses préparations théoriques et entraînements techniques, nul doute qu’il avait analysé le système Smyslov à fond; c’est déjà à ce niveau que V. Ragozin a peut être fait une erreur.
 
V. Ragozin, le G.M. F.I.D.E. devient GM ICCF :
 
On peut penser qu’après sa terrible défaite en 1940 dans son match contre Botvinnik, V. Ragozin alternant ensuite les bonnes et mauvaises performances à la pendule face à une concurrence de plus en plus rude s’est petit à petit recyclé dans le j.e.p.c. international de haut niveau afin d’obtenir des résultats dignes d’un champion. C’est une analyse primaire, pour ne pas dire erronée, qui ne tient pas compte du contexte échiquéen de l’U.R.S.S, de la politique et de l’économie de l’Etat.
 
Ragozin a joué régulièrement aux échecs par correspondance, à tous les niveaux ; déjà  une curieuse preuve en 1926 : avec les blancs il a gagné une partie contre le redouté Procureur Général N.V. Krylenko qui fonda en 1924 la Section pansoviétique des échecs lors du 3e Congrès, congrès qui définit le rôle donné aux échecs et les missions du gouvernement, des syndicats voire des militaires à ce sujet (cf la partie commentée dans la “Megacorrbase” de T. Harding)
 
Une très intéressante étude sociologique de Bertrand Gosselin intitulée “le jeu d’échecs ou le désordre contrôlé”, chapitre dans “Quelle Russie ?” Ed. Autrement, H.S. 1993, explique depuis le XIXe siècle jusqu’à 1991 la soviétisation des échecs (formation des champions) et la soviétisation par les échecs (exploitation du jeu) Je cite simplement et de manière partielle :
– si la formation est le domaine le plus novateur de l’école soviétique des échecs, l’approche est avant tout pragmatique, et soumet les dogmes à la critique … les échecs se prêtant mal à l’idéologisation
– les entraîneurs et instructeurs sont professionnalisés, les joueurs bien entrainés et dotés d’un savoir considérable [sans commune mesure avec les Occidentaux !] et la quasi – totalité des recherches est soviétique
– les échecs sont un moyen d’ascension et de reconnaissance sociale
– le joueur ne s’appartient plus, mais appartient à l’U.R.S.S. L’activité échiquéenne est présentée comme un trait culturel de la société soviétique … mais aussi les échecs sont le signe du triomphe socialiste à venir
– l’appropriation du jeu d’échecs passe par l’hégémonie mondiale (extension des échecs soviétiques)
– après la 2e guerre mondiale, il y a exaltation du sentiment national russe dans le contexte virulent de l’époque …
 
Aussi il est illusoire de penser qu’un G.M. tel que Ragozin en tant que joueur de haut niveau put ne pas appartenir “à cette société qui se voudrait un échiquier géant”. N’oublions pas par ex. qu’il faisait partie de l’équipe soviétique lors des 2 matches par radio contre les USA en 1945 et contre l’Angleterre en 1946, matches aussi bien techniques que politiques. Son parcours vers le titre mondial ICCF avec ses hauts et ses bas obéissait bien à un plan de carrière personnel, mais aussi à des objectifs fixés par sa fédération et par l’Etat.
 
En 1956 à l’âge de 48 ans, il joua un de ses derniers tournois majeurs à la pendule, qualifié une fois de plus pour une finale du championnat d’U.R.S.S., le 23e :   
 
Kortschnoi,V – Ragozin,V [A34] URS-ch23 Leningrad, 1956 – (0-1)

 
Cette unique défaite sera lourde de conséquences pour V. Kortchnoi dans ce championnat : en effet il terminera 4e avec 11 points sur 17 (+6=10-1), juste derrière le trio de tête Spassky, Taimanov et Averbakh avec 11½ points ! Mark Taimanov vainqueur de ce 23e ch. d’U.R.S.S. après un match de départage à doubles – rondes … (Une remarque supplémentaire sur ce championnat national : très éprouvant et très dur pour les participants. En effet de nombreuses parties ont dépassé les 60 coups, certaines même avec 3 chiffres : Ragozin – Lisitsin 100 coups, Taimanov – Averbakh 115 coups, et surtout Kortschnoi – Tal 132 coups où les Blancs ont vainement essayé de gagner à partir du 50ème coup une finale T+F contre T+1P puis T+F contre T !)
Quant à Ragozin il réalisera un tournoi médiocre, 13e sur 18 avec 7 points (+5=4-8) Mais en 1956 il commençait le 2e Championnat du Monde par correspondance ICCF : c’était le début d’une autre grande aventure !
 
Vyacheslav Ragozin, le 2e champion du monde par correspondance ICCF 1956 – 1959 :
 
Le chapitre qui suit clôt ceux qui ont présenté le joueur à la pendule, Grand Maître de l’URSS, dans les C.D.E. 559 et 561 en 2006.
En effet Ragozin a eu une longue carrière à la pendule (près de 35 années) ayant rencontré maintes champions, des joueurs célèbres. Ingénieur civil dans l’industrie de la construction, Ragozin a toujours été très actif dans le domaine des échecs : déjà G.M.I. F.I.D.E. en 1950 il devient Arbitre International F.I.D.E. en 1951 et parallèlement mène une carrière d’éditeur pour le magazine d’échecs “Shakmaty v SSSR”.
Son parcours dans le jeu par correspondance est comparativement bien faible : à peine 40 parties répertoriées dans les bases de référence, ” Megacorr »”et ” URSS Red_Letters ” de Tim Harding ; si celles-ci incluent des parties jouées par radio – télégraphie dans les matches URSS vs USA et URSS vs GB, on a même des doutes sur quelques parties (par correspondance ou à la pendule ?).
Tout comme son successeur avec le 3e championnat du monde par correspondance 1959 – 1962, le Belge A. O’Kelly de Galway, il était reconnu avant tout dans la compétition à la pendule même s’il a été champion du monde ICCF; ainsi Ragozin a été élu vice – Président de la F.I.D.E. de 1950 à 1961.
(On remarquera de nombreuses similitudes entre ces deux champions : même génération, une solide instruction, doublement titrés G.M.I. F.I.D.E. et  GM ICCF, arbitres internationaux, écrivains et chroniqueurs réputés pour des ouvrages et des périodiques du jeu d’échecs, et même éditeurs. Une différence notable quand même : autant O’Kelly de Galway, polyglotte, était cosmopolite et durant toute sa carrière s’est déplacé dans le monde entier, autant Ragozin a peu voyagé quittant rarement l’URSS – bien que cela soit sujet à caution avec ses fonctions à la F.I.D.E. – N.D.L.R. -).
Son activité dans le jeu par correspondance se concentre essentiellement entre les années 1952 à 1956 inclus, et les parties de haut niveau sont surtout dans le 2e championnat d’URSS par correspondance en 1952 (gagné par P.I. Atyashev) et dans notre 2e championnat du monde ICCF en 1956. Sa disparition prématurée à l’âge de 53 ans en 1962 mettra fin à une carrière qu’il souhaitait plus intense dans le jeu par correspondance …
 
La finale du 2e championnat du Monde par correspondance 1956 – 1959 avait 15 participants dont le Français Volf Bergraser notre 1er IM puis GM ICCF (titre obtenu bien plus tard) ! Ragozin l’emporta avec 11 pts (+9-1=4) devant L. Endzelins (AUS) et L. Schmid (GER) 10,5 pts.
Nous avons choisi une partie peu connue de ce championnat du monde, contre le Tchèque Jaroslav Jezek qui termina 10e sur 15 avec 6 points (+ 4 – 6 = 4). On en profite pour résumer au mieux une grande ligne de l’Est-Indienne : la variante Sämisch, un début très joué jusque dans les années 2000; s’il est moins fréquent de nos jours, le débat est toujours ouvert !

Jezek, Jaroslav – Ragozin, Vyacheslav, corr. WCh2 1956 – (0-1)

 
 

 

Viacheslav Ragozin 1 Viacheslav RAGOZINE en professeur d’échecs.                 

 

Denis ROZIER (Août 2015)

 

 

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