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La défense de l’homme mort (Alain Audie)

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Le vécu et le ressenti de la DMD par Alain Audie

Le témoignage que je souhaite apporter concerne ce qui, dans le langage de l’ICCF, s’appelle la Dead Man’s Defense (DMD). Petit rappel de ce dont il s’agit : un joueur ayant accumulé un grand nombre de jours lors du déroulement d’une partie décide d’utiliser ce capital en ralentissant de manière (très) significative la fréquence de ses réponses. Il en résulte une partie qui s’éternise alors que, très souvent, l’adversaire a déjà perdu. Pourquoi adopter une telle attitude, dont il est difficile d’en apprécier les motifs ? J’ai eu trois expériences fâcheuses de ce type mais une seule s’est achevée de manière amicale.
Dans une partie à enjeu (qualification en demi-finale d’une coupe du monde des vétérans), mon adversaire – un bon joueur allemand avec un Elo de 2365 – s’est retrouvé en grande difficulté et s’est mis à espacer de plus en plus ses réponses. J’avais bien noté qu’il avait un encours de parties important, mais était-ce là une raison suffisante pour sembler se désintéresser de notre joute ? Le jeu s’est ainsi prolongé à la vitesse d’un train de sénateur et, alors qu’en cas d’adjudication, il m’aurait été aisé de démontrer que le gain de cette partie devait me revenir, je décidai de lui adresser un message courtois, certes, mais précis. Sa réponse qui ne trahissait un quelconque agacement fut très simple :
a) Il a reconnu sa défaite
b) En s’excusant, il m’a demandé de patienter quelques semaines (trois je crois) jusqu’à son abandon.
Pourquoi ? Il souhaitait tout simplement garder son Elo jusqu’au début du trimestre suivant. J’acceptai et il tint sa promesse. Dans les tout derniers messages de remerciement et de félicitation, nous avons tous deux évoqué une revanche dans le cadre de l’une de ces compétitions réservées aux « vieux ». Nous attendons toujours…
Lors du championnat de France 2014/2015, j’ai également connu un début de DMD : quatre coups en un peu plus de deux mois et un nombre significatif de jours avant l’abandon d’une partie qui était perdue depuis longtemps. Je me souviens du malaise que j’avais ressenti dans cette situation où le refus de mon adversaire de reconnaître sa défaite était patent. J’avais pris mon mal en patience en me fixant une borne de dix coups joués au rythme des quatre derniers pour réagir. Néanmoins ce fut une fin de partie désagréable, non conforme, selon moi, à l’esprit du jeu d’échecs.
Le cas de DMD le plus évident est récent et s’est conclu d’une manière que je qualifierais de savoureuse. Jouer dix coups en six mois ne traduit franchement pas une volonté d’achever une partie dans des délais raisonnables. D’autant que, de surcroît, la position de mon adversaire était clairement perdante. Cette partie se situait dans le cadre d’une rencontre amicale avec une nation, donc sans date de fin ce qui signifie absence d’adjudication systématique. J’étais en présence d’un cas de non-respect de la réglementation de l’ICCF, et l’on aurait pu s’attendre à ce que le joueur fautif soit au minimum averti. Eh bien il n’en fut rien et voici pourquoi.
Alors que je m’apprêtais à contacter le capitaine de notre équipe (le TC), celui-ci s’est adressé à moi en pointant l’évident recours à la fameuse DMD de mon adversaire. Je suis donc intervenu auprès du capitaine de l’équipe adverse (TC) ainsi qu’auprès de l’arbitre du match.
Miracle ! Peu de temps après l’envoi de mes deux messages, mon adversaire a (enfin) abandonné ! En réponse à mes messages, il m’a été indiqué deux choses :
a) Je n’avais pas déposé plainte conformément à la règle établie
b) La partie étant terminée, il n’y avait pas lieude prendre en compte ma plainte.
Devant ces réponses pour le moins surprenantes, j’ai rédigé un nouveau message à l’attention de mes « juges » leur signifiant que
a) je ne comprenais pas en quoi je n’aurais pas respecté la procédure
b) Que le problème posé – le recours à la DMD – était antérieur à la fin de la partie, et que celle-ci ne gommait en rien le comportement coupable des six derniers mois.
L’arbitre du match s’est adressé à de hauts responsables de l’ICCF, dont le rédacteur de l’article concernant les cas de DMD, et les réponses que j’ai reçues confirmaient que ma plainte n’était pas recevable, que la partie était terminée et qu’il n’était donc pas question d’avertir mon adversaire. « Circulez y’a rien à voir ! » comme disait Coluche dans l’un de ses sketches !
En clair, un joueur utilise la DMD contre vous, vous transmettez votre plainte au capitaine de l’équipe adverse, lequel prévient son joueur. Celui-ci abandonne, ce qu’il aurait dû faire depuis longtemps, et le tour est joué. Plus de partie, plus de plainte qui vaille. A la limite c’est vous qui êtes en faute de n’avoir pas respecté la procédure établie, alors que vous ne comprenez pas où se situe l’erreur soit disant commise.
Les amateurs de DMD ont de beaux jours devant eux !
Cela dit, il ne s’agit que d’un désagrément qui, néanmoins, soulève au moins deux questions :
a) Est-ce le rôle d’un TC de protéger un joueur qui ne respecte pas les règles établies ?
b) A quoi bon définir une règle précise – en l’espèce celle relative à la DMD – si celle-ci n’est pas suivie et appliquée … avec la bénédiction de celui qui l’a rédigée ?

Le règlement et la philosophie ICCF du DMD par Eric Ruch

L’expérience relatée par M. Audie appelle un certain nombre de commentaires qui permettront, je l’espère, aux joueurs confrontés à un adversaire qui éternise les fins de parties, de connaitre la démarche à suivre pour faire valoir ces droits.
Premièrement la défense de l’homme mort (DMD en anglais) est une attitude répréhensible dans le JPC qui est condamné par l’ICCF. Le paragraphe 2 du « Code of Conduct » précise :
Un jeu extrêmement lent dans une position perdue n’est pas un comportement admissible dans le JPC et peut faire l’objet d’un avertissement par le directeur de tournoi (DT) pouvant aller jusqu’à des sanctions disciplinaires si le joueur persiste dans la partie ou répète cette attitude dans d’autres parties.
Pour savoir si le jeu de votre adversaire est considéré comme relavant du DMD, il faut se reporter au Tournament Director Manuel (Ce document s’adresse principalement au DT, mais je conseille fortement à tous les joueurs de le parcourir, car cela peut éclairer les décisions des arbitres dans bien des situations ; ce document, comme tous les autres règlements, sont disponibles sur le site de l’ICCF). Le paragraphe 11.3.2 traite du DMD dont on peut retenir les principaux éléments suivants :
1. La position de l’adversaire doit être clairement perdante. Ceci constitue bien évidemment une notion subjective, mais qui clairement exclut les cas où le joueur prend son temps dans une position équilibrée (par exemple prendre 20 ou 30 jours pour répondre alors que le coup est forcé, mais la position équilibrée, ne relève pas du DMD et ne peut être sanctionné)
2. L’adversaire a adopté une ou plusieurs des attitudes suivantes :
a. Ralentir significativement sa cadence de jeu dans une partie mais pas dans les autres (par exemple en prenant 20 jours par coup pour 6 coups consécutifs).
Un joueur qui ralenti sa cadence de jeu dans toutes ses parties n’est donc pas être sanctionné au titre du DMD (on peut supposer qu’il a des contraintes personnelles qui l’obligent à ralentir toute ses parties). En tant que joueur, il est bien évidemment impossible de vérifier cela, mais cela peut expliquer pourquoi un joueur n’est pas sanctionné par le DT, qui lui peut vérifier les cadences de toutes les parties. De même un joueur qui utilise depuis le début de ses parties tout le quota de temps alloué ne pourra être sanctionné au titre du DMD même s’il continue à jouer dans une position clairement perdante, contrairement à ce que pensent beaucoup de joueurs.
b. Prendre des congés dans le tournoi dans lequel se joue la partie en question mais pas dans d’autres tournois (même si le joueur dispose de congés suffisants)
c. Prendre une grande partie du nombre de jours alloué jusqu’au contrôle de temps puis jouer rapidement les quelques coups restants pour atteindre le contrôle de temps (par exemple prendre 45 jours pour le 41 e coup puis jouer les 9 autres coups pour jouer le 50 e coup avant la limite)
Si vous êtes convaincu que votre adversaire joue une DMD, je vous conseille dans un premier temps de le prévenir que son attitude est contraire à l’esprit du jeu. Votre objectif est que votre adversaire abandonne, pas qu’il soit sanctionné ! J’ai été confronté trois fois à des cas de DMD et mes adversaires ont à chaque fois immédiatement abandonné. Si le joueur persiste il faut transmettre une plainte au DT ou à votre capitaine s’il s’agit d’un tournoi par équipes.
Dans le cas relaté par M. Audie, l’erreur si erreur il y a, a été de transmettre directement la plainte au capitaine adverse et au DT. L’attitude du capitaine adverse n’a rien de répréhensible et il a parfaitement rempli son rôle : il a constaté que son joueur était passible du DMD et lui a demandé d’abandonner immédiatement le partie (c’est l’attitude que doit avoir tout capitaine d’équipes).
Si la plainte avait été transmise correctement au DT (donc par l’entremise du capitaine), celui-ci aurait dans un premier temps vérifié le bien-fondé de la demande et si le DMD est avéré, demandé au joueur en question d’abandonner la partie. Dans la partie en question, le joueur ayant abandonné la partie avant que le DT puisse intervenir, il n’y avait bien évidemment plus d’actions à mener. Comme je l’ai déjà indiqué, l’objectif du DT est d’abord d’informer et d’éduquer le joueur, lui faire prendre conscience que son attitude n’est pas correcte et non pas de le sanctionner. Le But est de faire de la prévention et non de la répression. C’est uniquement si le joueur persiste dans son attitude, dans la partie ou dans d’autres, que des sanctions sont appliquées, pouvant aller jusqu’à des périodes de suspension.
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