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Interview de Jason Bokar

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Un GM ICCF américain en France
Dr. Jason Bokar, Clermont-Ferrand
Dr. Jason Bokar à l’ICCF :
Grand Maître International ICCF, classement 2584 (2011/1)
Quelques repères :
  • North America/Pacific Championship 4 [Cat. 8] : 3e place – 10,5 pts/14 (postal, 2002-2006)
  • US CC Championship 14 Final : 2e place – 10 pts/14 (postal, 2002-2008)
  • Cecil Purdy Jubilee – Section B [cat. 8] : 2e place (SB) – 10 pts/14 (postal, 2003-2006)
  • Chessfriends Rochade 5171 – 15 Years board 2 [cat. 11] : 5e place – 7,5 pts/14 (email, 2004-2006)
  • Romanian Chess Federation – 80 Years [cat. 11] : 2e place – 7 pts/12 (serveur 2005-2007)
  • 10th North American Invitational CC Championship [cat. 7] : 2e place – 8 pts/12 (serveur 2005-2008)
  • ICCF Olympiad 17 Preliminaries – Section 03 board 1 [cat. 11] : 2e place – 5,5 pts/9 (serveur 2006-2008)
  • ICCF Olympiad 15 Final board 2 [cat. 13] : 3e place – 8 pts/13 (serveur 2006-2009)
  • WCCC26CT03 (Candidats) [cat. 12] : 2e place – 7 pts/12 (serveur 2006-2008)
  • World Championship 24 Final [cat. 12] : parties terminées, 9 pts/16
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Jason Bokar nous a fait l’amitié de nous communiquer de ses parties avec ses analyses, qui seront publiées au prochain numéro.

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Clermont-Ferrand, samedi 13 novembre 2010, un pub, près de la cathédrale. Pas loin de 18°C, soleil, je viens de Paris surcouvert, pull, manteau, et Jason me fait grimper à pied le chemin montant de la gare à la cathédrale. Arrivé dans une grande brasserie où nous serons tranquilles, je suis en nage, essouflé, exactement prêt à laisser la conversation partir dans tous les sens. J’ouvre mon ordinateur portable. Nous discutons de 15h à 19h, à bâtons rompus, devant quelques bières légères, coupées de Pepsi Light en ce qui me concerne – je ne veux pas voir ma concentration flotter et s’évaporer avec les bulles d’alcool. Résultat :

Mécanique des pneus

 

Dr. Jason Bokar, Correspondence Chess GM, USA

J’ai un doctorat de génie mécanique. J’ai commencé ma carrière comme enseignant à Clemson University en Caroline du Sud, dans la grande banlieue de Greenville. En Caroline du Sud, les grandes villes sont essentiellement Columbia, Charleston et Greenville qui s’étend maintenant aussi ! La Caroline du Sud est un Etat plutôt méconnu, même aux Etats-Unis. C’est pourtant une zone territoriale assez vaste, qui donne sur l’océan Atlantique, bordée au sud et à l’ouest par la Géorgie et au Nord par la Caroline du Nord. Clemson University a un département de génie automobile important, et plusieurs constructeurs automobiles ont des implantations autour de Greenville. J’aimais beaucoup l’enseignement, même si ça demandait une masse de travail pour un salaire à peine décent. Et la ville était trop petite pour un jeune professeur (j’avais seulement 33  ans !) Finalement, je me suis décidé et j’ai été engagé par General Electric, où j’ai travaillé 7 ans. Ma paye a fait un bond fabuleux mais mon temps de présence à la maison a été fortement réduit, la moitié de l’année je travaillais en dehors des Etats-Unis !

J’ai été recruté par Michelin en 2005, pour le centre de Recherche et Développement de Michelin North America, dont le siège se trouve à Greenville également. Il y a le siège, quelques usines et un centre de recherche très important. Historiquement, je pense que Michelin s’est implanté en Caroline du Sud parce que le coût de la main d’œuvre était très bas et qu’il y avait des surfaces disponibles importantes, ainsi que des incitations fiscales de l’Etat. Ma spécialité, c’est la « résistance aux roulements et énergie des pneus ».

Expatriation en France

J’ai accepté ma mutation à Clermont-Ferrand parce que c’est une politique de la société d’avoir un groupe de gens non seulement bilingues et aptes à comprendre les différences de culture, mais aussi capables d’avoir une pratique approfondie des outils et méthodes utilisés en France et de ramener ces compétences nouvelles à Michelin North America. Je suis arrivé avec ma femme et mes deux jeunes enfants en 2009. Ma fille a aujourd’hui 7 ans et mon garçon 9 ans. Ils sont scolarisés dans une école bilingue, mais sont très à l’aise en français, surtout ma fille qui parle sans aucun accent. A Clermont, je fais de la recherche sur l’usure des pneus, toujours dans le secteur “performance du pneu” mais actuellement dans la performance “usure”. J’aime la manière dont les phases de test sont menées par Michelin. On va vraiment au bout des choses, on ne se contente pas de mettre les prototypes dans des machines à rouler. Les pneus sont montés sur différents modèles de voitures, et les voitures roulent tous les jours. Les tests sont accomplis en condition réelle. Les résultats sont beaucoup plus intéressants compte tenu de la diversité des facteurs qui interviennent dans le phénomène d’usure des pneus, poids de la voiture, style de conduite, etc.

Il n’y a pas énormément d’échange d’ingénieurs entre les différents centres de recherche de Michelin. Peut-être une trentaine de personnes qui passent d’un pays à l’autre, et reviennent ensuite avec une nouvelle façon de voir les choses. Ils ont découverts de nouvelles manières de travailler, ils ont enrichis leur culture d’entreprise, ils sont plus créatifs. En général, les séjours d’expatriés ne durent pas plus de cinq ans – il y a un problème de fiscalité au-delà de cette durée. Pendant cinq ans on peut bénéficier de la non double imposition dans le pays d’origine et le pays d’expatriation mais il y un rattrapage si le séjour dure plus longtemps. Il est possible que je reste encore une ou deux années en France avant de repartir à Greenville, mais ce n’est pas sûr.

Les premières années aux échecs

Je suis né dans l’Ohio, non loin de Cleveland. Mon père est d’origine Ruthène et a émigré à partir de l’Ukraine. Son nom était « Bokor », mais il a été mal transcrit à l’arrivée aux Etats-Unis.  Sa famille et lui se sont échappés d’Europe de l’Est juste avant la seconde guerre mondiale. J’ai commencé à jouer aux échecs vers 7 ou 8 ans (1971-1972). C’était la grande époque de Bobby Fisher. Mon père ne jouait pas aux échecs ; c’était un homme simple, il préférait les activités extérieures quand il avait fini son travail, surtout le jardinage. Mais un de mes oncles avait un niveau expert aux échecs. Il suivait les parties de Bobby Fisher à la télévision ou dans les journaux. Je le voyais sortir l’échiquier et rejouer les coups. Ca m’intéressait, il m’a appris les bases du jeu, m’a donné quelques livres et mon père m’a offert un échiquier. J’ai commencé à apprendre comme ça, un peu tout seul et un peu avec l’aide de mon oncle.

A 10 ans, j’ai commencé à jouer en club. C’était au Parma Chess Club à Cleveland. Entre temps, j’ai fait une rencontre importante grâce à mon père, qui travaillait à la poste. Il avait remarqué, dans ses tournées, des cartes postales un peu étranges, avec des diagrammes d’échiquiers. Il est entré en contact avec le destinataire de ces cartes, qui s’appelait Clifford Ziegler, ils ont discuté. Finalement, M. Ziegler, qui non seulement jouait aux échecs par correspondance mais était aussi entraîneur amateur et membre du Parma Chess Club, est devenu mon coach. Je me souviens qu’il classait ses cartes postales dans des boîtes à photos, une boîte par partie, avec de gros cahiers, pour les analyses. Il avait énormément de livres, des numéros de L’Informateur d’échecs (Šahovski Informator), les volumes de l’Encyclopédie des ouvertures d’échecs. Grâce à lui et à mon activité au Parma Chess Club, j’ai progressé rapidement : à 16 ans, je jouais au niveau Maître National (National Master) de l’USCF (United States Chess Federation) avec un classement à plus de 2200.

J’ai songé à devenir un joueur d’échecs professionnel, mais je n’ai pas pu continuer. Il aurait fallu que je me déplace dans les grandes villes des Etats-Unis pour jouer des tournois FIDE à normes, notamment à New-York. Mes parents n’avaient pas les moyens de financer cela. Ma famille était plutôt pauvre, même si nous n’avons jamais manqué de rien. Mon père voulait que j’assure mon avenir en allant à l’université. Par ailleurs, ma mère n’aimait pas trop me voir jouer des tournois. Elle s’inquiétait en me voyant revenir avec les vêtements sentant le tabac. Tout le monde fumait dans les salles de tournoi en ce temps là.

Etudes supérieures et jeu par correspondance

Finalement, je suis entré à l’université d’Akron, à une soixantaine de kilomètres de Cleveland, pour faire des études d’ingénieur. Mon dernier tournoi à la pendule vraiment important, je l’ai joué à l’université en 1986 – j’étais membre de l’Akron Chess Club. Il y a avait quelques très bons joueurs dans ce club. Et ce tournoi donnait l’occasion de jouer contre quelques maître FIDE ou maîtres internationaux. Mes études me demandaient beaucoup de temps, je ne pouvais plus jouer des tournois régulièrement ni être très actif en club. C’est là que j’ai commencé à jouer par correspondance, à la section postale de l’USCF.

J’ai disputé le Golden Knights Championship, qui était le championnat de l’USCF par correspondance, avec préliminaires, demi-finales, finales (plusieurs). J’ai terminé 11e. Il a fallu pratiquement 10 ans pour que toutes les parties soient terminées ! J’avais fini bien avant, heureusement. A vrai dire, au début, je n’ai pas aimé jouer par correspondance. Il m’arrivait d’égarer les cartes postales. Et je perdais énormément. Je jetais un œil à l’échiquier, je jouais mon coup ! Je pensais que de toute façon, je n’avais aucune chance contre les joueurs qui avait du temps à consacrer aux parties.

Et puis j’ai commencé à gagner. A m’organiser. J’ai imité mon entraîneur de Cleveland en rangeant les cartes postales dans des boîtes, en notant mes analyses et en les classant. Je n’avais ni ordinateur ni base de données. Je découpais dans les magasines et les journaux les parties qui m’intéressaient. J’ai pu réunir près de 200 parties sur la sicilienne Najdorf, qui reste encore aujourd’hui mon sujet d’étude favori.

Le jeu international et l’ICCF

Après l’université, je suis devenu très impliqué dans le jeu par correspondance. Ca ressemblait à la recherche scientifique et j’aimais ça. Chercher ce qui a été fait, chercher des idées, creuser les choses en profondeur. Garder les traces des recherches de ce qu’on fait.  Je ne crois pas que je sois devenu un meilleur joueur d’échecs, mais je me suis habitué à la manière de jouer, à devenir très organisé – particulièrement quand c’était par voie postale. Je continuais cependant à jouer au niveau national.

Je n’ai pas joué par l’ICCF avant les années 90. J’ai tout de suite vu une très grosse différence. A l’USCF, les gens aimaient jouer les lignes inhabituelles, les gambits, les ouvertures rares, pour éviter de recourir aux livres. A l’ICCF, les gens restaient dans les grandes lignes, les variantes théoriques et suivaient les parties de grands maîtres. J’ai commencé par les tournois Higher Class – ça m’a demandé du temps pour arriver en Master Class, par la voie postale.

L’USCF ne fait pas vraiment de promotion autour du jeu par correspondance, ça explique qu’il n’y ait pas autant de joueurs américains qu’il pourrait y en avoir. L’USCF a retiré une chronique sur le jeu par correspondance dans son magazine. Cependant, il y a plusieurs organisations concurrentes aux Etats-Unis, qui sont affiliées à l’ICCF-US, et les bons joueurs américains ne viennent tous de l’USCF. A l’ICCF, j’ai fait la connaissance de Ruth Ann Faye et de son mari Max Zavanelli, qui a longtemps présidé l’ICCF-US. Ruth Ann m’a donné la direction du NAPZ (North America/Pacific Zone) en 2004 pour se soulager d’un fardeau, elle faisait beaucoup d’autres choses. Je suis également devenu le webmaster de l’ICCF-US en 2004. je me suis retiré de ces deux actions en 2007 avec Ruth.

Le grand bond an avant

Avant, j’avais Chess Assistant mais je n’avais pas cet accès à suffisamment de parties de haut niveau. Ca fait une vraie différence. Mon classement est resté longtemps autour de 2400. On voit ça sur la courbe de mon classement, il y a une progression presque verticale entre 2002 et 2006. Elle est due à la combinaison d’un plus large temps disponible (mon fils n’était plus un bébé) et d’un meilleur accès aux bases de données, parce que j’ai pu m’acheter Chessbase. Avant ça, la vie de tous les jours prenait trop de temps. Je ne pourrais pas acheter tous informateurs d’échecs : Šahovski Informator), et ses volumes de l’Encyclopédie, New-in-Chess, Fernschach International, et d’autres journaux. Grâce à l’Internet (merci TWIC !) et à l’accès instantané aux données, il est devenu plus facile de trouver les jeux convenables d’échecs! Ma progression est aussi le résultat de l’arrivée du jeu par email et par serveur. Avant, il fallait attendre vraiment longtemps pour voir des résultats pris en compte.

Pour décrocher des titres à l’ICCF, il faut le vouloir et faire ce qu’il y a faire : jouer les tournois où on peut récupérer des normes, et ne pas se disperser sur les autres tournois. Avant de me décider à me lancer à fond pour obtenir le titre de MI – pour commencer, j’avais l’impression de flotter. Les choses ont vraiment changé quand je me suis concentré sur les parties ICCF en laissant de côté les compétitions nationales, et quand j’ai pu y mettre le temps et les moyens nécessaires. Ma progression au classement et mes titres ont été obtenus assez rapidement, parce qu’une fois que j’ai décidé de m’y mettre, je m’y suis mis, toutes les nuits. J’ai obtenu le titre de MI en 2002, celui de SIM en 2003 et de GM en 2007.

Jouer à haut niveau

Il y a une très grande différence entre un classement à 2400 et à 2600/2700. Pour arriver franchement au-dessus de 2400, il faut un temps absolument énorme. Je suis en train de préparer mon nouveau tournoi candidat[1]. Je passe littéralement des heures sur chacun des joueurs que je vais rencontrer, je rejoue leur parties, je vérifie qui joue avec des moteurs d’analyse et qui ne le fait pas. Donc avant même le tournoi, ça demande un temps considérable. J’ai discuté avec Tansel Turgut, qui m’a dit qu’il pouvait passer jusqu’à 200 heures juste pour une ouverture. Le jeu de haut niveau, c’est un investissement en temps qui ne laisse pas place à beaucoup d’autres loisirs que de trouver de tous petits avantages sur l’échiquier, qu’il faut savoir exploiter.

Et il faut avoir accès à l’information au quotidien. Il y a à apprendre de tous les joueurs de haut niveau de l’ICCF. Je vérifie tous les jours les parties terminées de tous les joueurs dans les championnats du monde et les finales d’olympiades de l’ICCF, et je cherche. Je n’attends pas que les parties soient publiées. Et on ne peut pas lâcher car si on lâche, on sait qu’il faudra ensuite rattraper le déficit d’information. Peut-être qu’un jour, il faudra que je me décide entre les échecs de haut niveau et un jeu plus relax. Quand je rentrerais aux Etats-Unis, ce sera peut-être le moment de décider.

Je pense aussi qu’on peut apprendre beaucoup des parties jouées à la pendule à haut niveau. Je regarde ça de très près, surtout dans la partie du jeu qui suit juste l’ouverture, aux 15-20e coups. Des joueurs comme Morozevich, par exemple, peuvent avoir des bons et des mauvais jours, mais ils ont joué énormément de parties, beaucoup plus qu’un joueur par correspondance n’en jouera jamais. Les idées se sont concrétisées peu à peu, ils ont une vision du jeu, et on peut donc apprendre des positions auxquelles ils veulent arriver, et de leurs intuitions, qui se fondent sur leur expérience et leur créativité. Par correspondance, j’ai une très grande admiration pour les parties de Roman Chytilek ou de Wolfram Schön. Rejouer leurs parties est très impressionnant, leurs idées, la profondeur de leur compréhension du jeu. Si vous analysez une de leur partie avec Rybka, vous voyez l’évaluation passer de négatif à positif d’un seul coup.

Je joue les parties de très haut niveau en employant beaucoup de temps d’analyse et de recherche. J’analyse tous les petits détails, toutes les petites nuances. Je sors toujours l’échiquier pour jouer, en tout cas pour les parties de très haut niveau. Je me sers peu de mes cahiers de notes, j’utilise le logiciel Bookup à présent qui est vraiment très pratique. Pour moi, le maximum de parties est 30. 20/25 parties est confortable. Mais si j’ai trop peu de parties, je m’ennuie et je sature sur les parties en cours.

Les moteurs d’analyse, ce n’est pas assez. Il faut suivre les idées sur 20 ou 30 coups derrière un coup candidat. Rybka, ou HIARCS que j’utilise plus souvent, ce n’est pas assez. Je ne regarde jamais le moteur d’analyse avant d’avoir mes deux ou trois coups candidats, jamais. Je fais mes analyses personnelles et quand j’ai mes coups candidats et mes analyses, alors je regarde les coups de Rybka. Au besoin, je force les coups dans le moteur d’analyse et je regarde. Bien souvent, il donne la même évaluation pour plusieurs coups : que faire si on n’a pas sa propre analyse et sa propre idée ? Quand Rybka donne un coup très différent, bien sûr ca me fait réfléchir. Mais de toutes façons c’est moi qui décide, c’est moi qui joue.

Si je jouais un match contre Rybka en lui donnant 2h (ou 24h d’ailleurs, ça ne change presque rien) et moi plusieurs jours, 5 ou 6 jours par coups, sur une centaine de parties, je pense que je peux scorer à 70 %, avec beaucoup de nulles. C’est très rare que je sois surpris par du moteur d’analyse, ses coups sont presque toujours dans mes candidats. Les moteurs d’analyse me surprennent parfois dans les finales, ils ne jouent pas toujours de la manière dont j’ai appris les finales. Rybka surtout n’est pas très bon en finale. Alors que moi précisément, les finales sont ma meilleure chance. J’ai toujours été bon en finale, même à la pendule. Pour moi, c’est là que les choses deviennent claires. Mes gains sont souvent là. Les choses peuvent être très belles dans la finale.

Je peux comprendre la réaction de Christophe Léotard qui semble ne plus jouer. On peut saturer très vite, en donnant autant de temps. C’est pourquoi je joue aussi de manière plus relâchée, juste pour m’amuser, dans différents serveurs. Ou à l’ICCF dans des parties non classées. Les échecs sont une telle partie de ma vie ! Si je jouais uniquement des parties sérieuses à l’ICCF, j’aurais déjà quitté le jeu. D’où par exemple les parties du tournoi ICCF NFL, où nous jouons l’un contre l’autre. Je ne me sers pas de moteurs d’analyse, je me contente du plaisir de jouer, détendu.

Le 24e championnat du monde

Plus tard, sous un nom emblématique

Dans le 24e championnat du monde, toutes mes parties sont finies. J’ai commencé le championnat du monde en même temps que la finale de la 17e olympiade au 1er échiquier. Je finissais de dîner et ensuite c’était les échecs. J’ai été le 3e ou 4e à terminer mes parties dans le championnat du monde. Avec les olympiades en même temps, j’avais 30 parties à un très haut niveau. C’est la première fois que je jouais autant de parties de si haut niveau, toutes en même temps. Ca exige un engagement même physique. Il y avait la nécessité de réduire le nombre de parties avec les nullités. J’ai joué une Petrov[2]. Une nulle évidente. Pourquoi continuer alors que j’avais tant d’autres parties ? Mais j’ai appris que dans ce genre de compétition, en fait, il faut sans doute jouer lentement. J’ai découvert qu’après plusieurs mois, certains joueurs fatiguaient. Je vois maintenant des abandons dans des positions dans lesquelles les gens laissent tomber alors qu’il y a encore beaucoup à faire. Il y a la possibilité qu’un joueur soit très combattif au début et devienne si fatigué qu’il laisse tomber. Vous verrez certains abandons récents dans le 24e championnat du monde qui ne peuvent s’expliquer autrement. J’ai donné des parties nulles trop vite avec des joueurs que je vois maintenant abandonner dans des positions loin d’être perdues, ou qui font carrément défaut. La prochaine fois, si j’ai cette chance, je laisserai passer du temps entre mes coups. Mon pronostic pour le 24e championnat du monde penche en faveur de Tansel Turgut, Hans-Dieter Wunderlich ou Marjan Šemrl, qui a encore beaucoup de parties en cours : il a la vision du classement actuel, il peut appuyer sur les adversaires décisifs.

Garder envie

Je continue à jouer parce que j’ai toujours l’envie. J’ai obtenu tous les titres que je voulais avoir, j’ai joué un championnat du monde, mais l’envie reste. L’envie pour moi, c’est de jouer de belles parties. Ca m’est égal de perdre ou de faire une nulle, si la partie a été belle – non pas que j’aime perdre. Mais ce n’est pas l’ambition qui me pousse. Je n’aime pas l’idée de jouer pour faire nulle ou pour telle ou telle raison. Ce qui me pousse, c’est une belle partie, l’excitation des idées nouvelles. S’il y a un sacrifice à tenter, un risque à prendre, je pense qu’il faut le faire. Par exemple, je trouve que la défense est-indienne est une ouverture excellente pour le jeu par correspondance, ça amène à un jeu excitant, c’est gratifiant, d’autant que les moteurs d’analyse évaluent les positions de manière incorrecte!. Même dans la Caro-Kahn, les noirs peuvent jouer des lignes intéressantes. Il n’a pas d’ouvertures vraiment à bannir, sauf quand tout est fait pour liquider la partie. La Petrov, le gambit dame accepté, et même décliné, c’est trop facile d’échanger les pièces et il ne reste plus rien sur l’échiquier. Mais il faut jouer plusieurs ouvertures pour voir tout ce qu’il y a à découvrir ! Un de mes amis m’a dit que j’aurais un meilleur classement si je ne changeais pas tout le temps d’ouverture. Mais il faut que le plaisir reste. Sinon il faut faire autre chose.

Ensuite la nuit est tombée. Dîner avec la famille Bokar : un petit restaurant situé dans une ruelle à quelques pas du pub. Les enfants sont très mignons, et n’oublient jamais de jeter un coup d’œil vers leur mère avant de tenter une taquinerie. Jason me raccompagne à mon hôtel, le chemin descend cette fois. Et nous parlons encore d’échecs, des ouvertures, de la variante anti-Moscou dans la semi-slave. Il y a de l’avenir pour le Dr Jason Bokar, GM – la passion est intacte depuis près de quarante ans, l’acharnement toujours présent et le talent aussi palpable qu’un caillou dans la main.

 

Jean-Christophe Chazalette



[1] WCCC30CT05

[2] Contre Marjan Šemrl avec les noirs

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